A l’époque que nous tentons de reconstituer, ,  l’alimentation des Légionnaires Romains différait peu de celle des populations civiles,  tant rurales qu’urbaines. Comme une bonne partie des peuples méditerranéens, la base principale de leur alimentation reposait sur le trio : blé, huile et vin. Les Romains étaient avant tout de grands consommateurs de céréales. Le blé, dès les temps anciens de la république, constituait déjà la base de leur alimentation ; principalement utilisé sous forme de bouillie, d’où leur surnom "pultiphagonides", c'est-à-dire "mangeurs de bouillies",  donné par leurs voisins Grecs du Sud de l’Italie. Ces bouillies (puls) sont essentiellement constituées à base d’orge, de blé, d'épeautre, de millet, et d'avoine. Ces céréales sont aussi consommées, mais moins fréquemment,  sous forme de galettes.


Le soldat Romain va se nourrir différemment selon qu’il est en cantonnement, en camp militaire organisé (lors de sièges), ou en camp de marche temporaire.


Dans les deux premiers cas l’armée est statique ; donc l’alimentation va être très proche de celle des civils. Mais elle est très certainement plus diversifiée avec des rations de légumes et de viandes plus courantes. En campagne, et dans les camps de marche temporaire, lorsque l’armée se déplace, il en va tout autrement. La mobilité va primer, et dans ce cas, dépendre des ressources du pays. Ce qui peut être hasardeux… Cet approvisionnement risquant donc d’être très aléatoire, l’intendance fournira aux soldats leur subsistance de base. Elle assurera en conséquence un ravitaillement indépendant des risques liés aux territoires traversés pendant la durée de la campagne.


Le légionnaire n’emporte que la ration de blé dont il a besoin pour la durée définie par le général. Bien sûr, il emporte avec lui d’autres petites choses indispensables, mais en moindres quantités, comme le sel, l’huile, la posca (sorte de vinaigre qui sert à désinfecter l’eau comme les petites plaies) et quelques "lucana",  sortes de saucisses sèches qui, mastiquées pendant la marche,  favorisent la salivation Probablement aussi quelques légumineuses comme de l’ail et des oignons, dont les textes nous parlent,  en citant l’halène des soldats… Enfin, on sait également que lors de la préparation de certaines campagnes, des commandants ont demandé à leurs hommes de préparer des pains d’avance.


Tout ceci va lui conférer une très grande mobilité, et une ration énergétique bien suffisante pour se déplacer et combattre. Bien sûr lorsque les circonstances le permettent l’alimentation est complétée par les razzia en territoire ennemi, et par des achats auprès des nombreux marchants qui suivent l’armée en campagne (huile, "posca", sel, épices, et le bétail sur pied pour sa viande) , mais cela ne reste qu’une source secondaire d’approvisionnement. Il est intéressant de noter à ce sujet que, lors du serment prêté le jour de son incorporation dans les légions, le milite n’était pas obligé de remettre à ses supérieurs le fruit de ses cueillettes en l’ajoutant aux prises collectives comme pour le butin, mais le conservait à titre personnel.


Le Légionnaire va donc transporter sa ration de blé sous forme de grain, car ce dernier se conserve beaucoup mieux que la farine. Chaque "contubernium", ou groupe de soldats vivant sous la même tente,  va disposer d’une petite meule portative en pierre dure pour moudre ce grain. Une fois ce grain écrasé à la meule, on obtient une farine assez fine et complète.

Panis Militaris*.

Avec cette dernière, base de son alimentation, le milite va pouvoir confectionner selon son goût, les circonstances climatiques ou le temps dont il dispose,  différents types d’aliments : soit il fait une bouillie simple avec de la farine de l’eau et du sel, soit il l’agrémente avec ce dont il dispose.


. Il peut également élaborer un certain type de crêpes, en mélangeant à la farine, entre autre,  un peu de vin et d’huile.


. Il peut aussi réaliser des sortes de galettes comme il était d’usage dans les temps anciens, et qui ressemblent à ces petits pains Grecs que l’on nome Pita.


. Une autre manière de procéder, qui était aussi en vogue dans les armées Grecques, était de confectionner des bandes de pâte que l’on enroulait sur un bâton, et que l’on faisait tourner au dessus un feu. L’inconvénient,  comme d’ailleurs avec les autres méthodes citées plus haut,  est que le soldat doit rester en permanence à surveiller la cuisson,  et devient indisponible pour d’autres tâches pendant ce temps là.


. Par conséquent, si le temps lui permet, il préfère pétrir la pâte, la laisser lever, et faire son pain.


Bien que connu depuis le 5ème millénaire avant JC, il est attesté que le pain ne devient un aliment très populaire à Rome qu’ à partir de la fin de la seconde guerre Punique. C’est en effet dans une courte période de 25 ans, entre -200 et -175 que les premières boulangeries (une cinquantaine) font leur apparition à Rome. A la même période Caton l’ancien, qui d’ailleurs participa victorieusement à une campagne militaire en Espagne, nous explique la cuisson du pain sous cloche. On retrouve d’ailleurs des pièces prouvant que dès cette époque Romains et Carthaginois utilisent des "clibanus" ces sortes de cloches servant de fours portatifs décrits par cet auteur. Des modèles étrusques du 5ème siècle avant J.-C. attestent que ce type de four portatif est déjà utilisé en Italie. Parfaitement adapté pour la cuisson du pain militaire, et très facile dans son transport et son emploi, le clibanus est l’instrument idéal pour cuire ce pain.


L’un des autres avantages de cet aliment est qu’il peut se conserver quelques jours,  ce qui peut s’avérer bien pratique si le temps pluvieux empêche de cuisiner, mais également le jour ou les soldats doivent accomplir leurs tours de garde,  disposant ainsi de moins de temps pour leurs tâches culinaires.

On sait que Scipion lors de son arrivée au siège de Numance, chassa, outre deux mille prostituées du camp de son prédécesseur, des marchants, des devins et autres charlatans. Cela incluait tout type de restauration rapide (les traiteurs, les boulangers). Il interdit également au légionnaire de s’encombrer de bagages superflus. Scipion instaure une nouvelle discipline stricte, et n’autorise plus pour la cuisine individuelle du légionnaire qu’une broche, une marmite, et une coupe (qui sert également d’unité de mesure).


Le « clibanus » faisait-il partie ou non de cette mesure restrictive? Il est fort probable qu’il était inclu avec la meule qui,  elle,  n’est pas citée. C’est en fait logique. Car non seulement elle n’est pas individuelle mais appartient au « contubernium »,  tout comme doit l’être le clibanus. Mais elle est vitale car elle sert à la préparation de la nourriture de base. Pour corroborer cela on en a retrouvé nombre d’exemplaires sur les lieux qui ont servi de camps autour de la circonvallation.


Outre cette cuisson il existe une autre manière de cuire le pain sous la cendre (focacius) mais évidement c’est un peu plus rustique.


Maintenant reste une question à élucider… . On sait que les soldats de la république avaient des servants à leur disposition. En avaient ils 1 par contubernium?  Ce nombre paraît en effet probable dès les réformes de Marius, où le servant,  tout en s’occupant de la mule,  pouvait accomplir les tâches domestiques comme aller chercher de l’eau, moudre le blé, faire le pain et les repas, ne laissant ainsi aux soldats que les tâches militaires qui leurs incombaient.

* le pain et la galette ont le même vocabulaire en latin" panis".
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La fabrication du pain militaire par Jaky Jelic

Pour les yeux habitués vous noterez que notre meule est plus étroite que la plupart ce celles que l’on voit habituellement reproduites. C’est en fait caractéristique pour une meule militaire destinée à en faciliter le transport.


▲ Le grain est broyé une première fois.
Puis il est passé à nouveau pour rendre la farine plus fine u
La farine est ensuite collectée, mélangée à de l’eau et du sel, puis pétrie et laissée à lever sous un linge humide.
Une fois levée, la pâte est mise en forme, déposée dans le clibanus et le pain est entaillé au couteau.
Le clibanus est ensuite fermé et le pain est mis à cuire.
Et voilà enfin le résultat de tous ces efforts…
Un vrai pain militaire superbe, délicieux et très nourrissant.
Recherches sur les clibanus et la panification Jacky Jelic
Recherches sur les Meules militaires républicaines Jean-Luc Féraud
Juillet 2013

Dans l’antiquité seules les meilleures pierres, les plus dures,  sont utilisées pour la fabrication des meules. En effet si la pierre n’est pas de très bonne qualité et s’use, de minuscules éclats vont se mélanger à la farine. Avec le temps ces derniers vont provoquer une déterioration prématurée de la dentition, avec toutes les conséquences que cela peut entraîner. Le nombre relativement restreint de carrières procurant une pierre de qualité permet actuellement d’identifier plus facilement les lieux de provenance des meules. Il est aisé de comprendre ainsi pourquoi les légions les faisaient venir de si loin, au lieu de les faire fabriquer sur place.


Nos reproductions fabriquées par Pierre Alain Capt
potier spécialiste bien connu des poteries antiques 
et cuites dans un vrai four à bois à l’antique.
Clibanus Romain
IIème siècle av J.-C.
Clibanus au
Musée de Zadar
Reconstruction de nos clibanus
Clibanus Etrusque
Vème siècle av J.-C.
Meule retrouvée
à Aix-en-Provence
IIème siècle av J.-C.
Notre reproduction est fabriquée par Florian Peteranderl 
spécialiste de la reproduction de meules antiques. 
Elle est taillée dans une pierre provenant d’une carrière qui 
à l’époque Romaine servait déjà à fabriquer des meules.